J’ai filmé pratiquement tous les vols. J’avais placé deux caméras dans l’avion et un enregistreur audio. J’ai fait du “Record and Forget” pour des raisons évidentes de sécurité, car j’étais seul et je voulais être uniquement concentré sur le vol. J’ai aussi gardé tous les documents, logs, cartes, trajets électroniques, etc. J’ai fait quelques photos, mais assez peu finalement. J’étais centré sur les vols.
Le but premier de ce voyage était de recréer de l’expérience en vol pour assurer par la suite un très bon niveau de sécurité. C’est l’une des raisons qui fait que je suis parti seul.
Les images et les sons sont loin d’être parfaits et le montage est un peu fait à l’arrache. J’espère néanmoins vous faire partager (un peu) l’ambiance de ce parcours.
1er jour, lundi 19 mai 2014 “Le grand départ”
Bedford (MA) – Williamsport (PA)
09h44 – 12h50 LT (UTC -4/-4)
Durée de vol : 2h42
Le lieu de départ de ce long périple est Bedford près de Boston. Executive Flyers est l’école qui a accepté de me louer l’avion. Nous avons fait dès mon arrivée toutes les démarches administratives.
Le jour de mon départ, tôt le matin, j’aménage l’avion pour être à l’aise et avoir une organisation qui m’économisera de l’énergie. J’installe ma grande valise grise sur le siège arrière et je la bloque avec un cadenas, car elle ne bougera pas pendant un mois. Elle contient tous mes vêtements, ainsi que toutes les cartes de navigation. Je mets une petite valise à roulettes dans la soute arrière. Je la prendrai tous les soirs avec moi. J’y mettrai mes affaires de rechange, ma trousse de toilette et le matériel électronique que je ne veux pas laisser dans l’avion. J’ai acheté un seau, du papier-ménage et du liquide de nettoyage pour briquer l’avion. J’ai aussi plusieurs litres d’huile en réserve.
L’agent d’entretien du FBO (Fixed Base Office) est présent pour mon départ. Il me souhaite bonne chance, bon vol et me demande de ramener l’avion en une seule pièce !
Si trois choses vont contre ton vol,
ne pars pas !
Je me suis entrainé deux jours durant, avant ce départ, pour me familiariser avec les aéroports américains et l’avion. J’ai passé mon check BFR (Biannual Flight Review) avec l’instructeur Roger Mean le samedi et j’ai fait un petit tour seul le dimanche sur trois aéroports représentatifs de ce que je devrais rencontrer durant mon voyage.
Roger m’a enseigné un truc que je vais mettre en pratique durant tout mon voyage : “Si trois choses vont contre ton vol, ne pars pas !” Il me donnera aussi pour consigne la chose suivante : “Si un policier ou un membre du gouvernement veut voir ta licence, tu la montres, mais tu ne la lui donnes pas, sinon tu ne la reverras jamais. C’est ton droit le plus fondamental.” Ce rapport à l’autorité m’a surpris !
Mon petit Cessna 172 s’appelle N64EF. Il a 41 ans. Il est né en 1973. Il a donc un certain âge, il est simple et Roger me l’a bien vendu : “Si je devais choisir entre un avion qui a 40 ans et un nouvel avion que je ne connais pas, je choisirais le vieil avion qui a fait ses preuves”. Que répondre ?
N64EF, 41 ans, vaillant Cessna 172M
Je pars pour Williamsport. 30 ans après, je vais y retourner, car j’ai séjourné dans un petit village à 60 miles au sud de cette ville en 1984 dans le cadre d’un séjour linguistique. Je n’ai plus beaucoup de souvenirs de l’aérodrome. Celui qui me reste est le vol entre Philadelphie et Williamsport. Je n’ai jamais eu autant mal aux oreilles de toute ma vie. Je me souviens très bien de l’avion, une caisse à savon jaune.
Je suis un peu angoissé. Suis- je prêt ? Est-ce que je ne me lance pas dans une entreprise trop périlleuse ? Je me dis que je peux toujours revenir. J’ai très peu d’heures solo depuis que j’ai repris l’aviation (à peine trois), mais tous ceux qui ont volé avec moi, ont confiance. Peut-être trop…
Je m’installe, je fais mes “checks”. Je roule sur les taxiway en direction de la piste, le run-up, l’appel à la tour pour le décollage, N64EF s’ébroue, accélère jusqu’à 64 mph, décollage, les roues quittent le sol, c’est parti pour 24 jours de voyage ou 1 seul… si je reviens tout de suite.
Je vole à 4500 pieds (1500m). Ce n’est pas très haut, mais je peux admirer le paysage. C’est beau.
Tous les quarts d’heures, je vérifie que tous les paramètres soient au vert. Je vais le faire durant tout le voyage sans exception. Tous mes logs seront remplis. C’est ma sécurité et indirectement celle de ma famille.
Log que j’ai construit spécifiquement pour ce voyage
Je découvre rapidement que les jauges d’essences ne bougent pas. Elles indiquent toujours le niveau maximum. Elles ne fonctionnent donc pas. J’espère que tous mes calculs de fuel sont justes. Je verrai bien, lorsque je ferai le plein, combien de litres j’aurais brulé. L’avion a plus de 4 heures d’autonomie, mais j’ai décidé de prendre une grande marge. La même chose avec la météo, je me suis fixé des minimas par rapport aux nuages et au vent. Je vais partir dans des endroits que je ne connais pas.
Incident ! Ma barre, qui supporte une caméra et l’enregistreur audio, tombe.
Pas de vidéo de l’atterrissage.
Au deux tiers du chemin, la barre horizontale que j’ai installée au milieu de l’avion tombe. Elle supporte une caméra et l’enregistreur des voix et de l’ambiance du cockpit. Il n’y a aura pas d’images du premier atterrissage. Dommage ! Il aura lieu sous la pluie.
2h42 plus tard, je suis à Williamsport. Tout s’est parfaitement bien passé. Je suis rassuré sur mes capacités de vol. Demain, j’irai en direction de Parkersburg.
Je redécouvre l’aéroport de Williamsport. Il est minuscule. Je n’en reviens pas. Je pensais qu’il était dix fois plus grand.
Je fais le plein de fuel et je regarde attentivement ce que j’ai dépensé. Mes calculs étaient exacts au litre près. Cela me rassure et me donne confiance en l’avion, mais j’espère que je ne vais pas découvrir d’autres problèmes.
Je reçois un accueil magnifique. Je retrouve le monde de l’aviation tel que je l’aime ! Convivial, fraternel, un peu bourru. Je sens que je fais partie de la famille. Tout au long du voyage, tout le monde m’aidera et me donnera des conseils.
2ème jour, 20 mai 2014 “Routine ?”
Williamsport (PA) – Parkersburg (WV)
09h28 – 12h11 LT (UTC -4/-4)
Durée de vol : 2h43
Hier en fin d’après-midi, j’ai pu me promener dans Williamsport et me remettre de la tension et de mes émotions au terme de cette première journée. La ville n’a pas beaucoup de charme. Le style architectural est lourd. La religion doit être omniprésente, car il y a une église par rue, mais ça n’a pas la beauté de Florence. Cela me rappelle les messes et le catéchisme du dimanche matin que je devais suivre 30 ans auparavant et les prières à table avant chaque repas.
A l’hôtel, j’ai rangé tous les enregistrements et j’ai remis le matériel en état pour le lendemain. Je vais me rendre compte que tout cela me prendra aussi entre deux et trois heures après chaque vol et me demandera une sacrée organisation.
Je me lève très tôt pour voler le matin. En général, l’air est calme, car le soleil n’a pas encore chauffé le sol et créé des mouvements de convection.
Ce matin-là, j’ai les boules.
Il n’y pas d’autres mots.
Ce matin-là, j’ai les “boules”. Il n’y pas d’autres mots. Je voulais être à l’aéroport à 08h00, mais le chauffeur de la navette de l’hôtel a disparu. Personne n’arrive à le joindre. J’attends près d’une heure avant qu’il ne se pointe. Je repense au grand sage “Roger”. Déjà un truc contre moi.
La météo n’est pas au beau fixe. Cela devrait aller pour aujourd’hui jusqu’à Parkersburg, mais rien n’est sûr pour demain. La visibilité ne sera pas terrible.
Le planning de mon voyage est relativement serré. Je me suis octroyé deux jours de réserve. J’espère juste ne pas me faire bloquer trop rapidement. Je sais que cela arrivera. Je fais des vols de 02h30, ce qui ne semble pas beaucoup, mais en fait, si on additionne, les temps de planification, la recherche d’hôtel, les trajets de et vers les hôtels, les rangements, le temps passe très vite et le soir, je suis rincé. Mais, je pense qu’il sera peut-être possible de faire deux legs dans une journée pour rattraper un hypothétique retard.
Je me suis calmé et la préparation de l’avion se déroule parfaitement. Je vérifie l’huile. Elle a un peu baissée. Juste un peu, c’est bien.
Le pacifique sera évidemment le point culminant.
Là-bas, je serais obliger de revenir.
C’est le deuxième jour et j’avance dans mon périple. Je me dis que je peux encore rentrer à Bedford, mais il va fatalement arriver un moment de non-retour. Il faudra que j’aille de l’avant quoique ce soit. Le Pacifique sera évidemment le point culminant. Là-bas, je serais obligé de revenir.
Cela semble déjà être la routine en vol. Check des paramètres toutes les 15 minutes. Ecoute de l’ATIS d’un aérodrome pour caler l’altimètre. Vérification régulière entre le GPS et la carte.
Je survole de magnifiques paysages ridés. Je vole toujours à 4500 pieds et je ne croise personne.
Direction sud-ouest jusqu’à l’Arizona. N64EF tourne comme une horloge.
L’arrivée à Parkesburg se fait de nouveau dans une petite averse. Il semble que je suis abonné. L’aérodrome se situe dans un endroit idyllique, très verdoyant.
Après Williamsport, je comprends que les aéroports sont loin des hôtels. Il me faut donc trouver un moyen de transport à chaque fois. Ils sont posés dans la campagne et il n’y a pas de transport public.
Les villes sont organisées par zones. La zone des magasins, la zone des hôtels, la zone des villas, la zone des fast-foods, etc.
Je peux être en contact tous les jours
avec ma famille via FaceTime.
Tout à coup, les distances n’existent plus.
Les hôtels et les FBO ont le WIFI. Je peux rentrer en contact avec la famille tous les jours via FaceTime. Tout à coup les distances n’existent plus. Ce n’était pas le cas en 1984. Il n’y avait que le téléphone et je n’avais aucune idée de ce qui se passait en Suisse. Aujourd’hui, je pourrais même suivre le journal télévisé suisse tous les jours.
En fin de journée, j’essaie de faire quelques courses pour avoir des choses à manger et à boire dans l’avion. Je ferai tous les jours un bon petit déjeuner, un en-cas à midi et un repas le soir. J’essaie de manger le plus sainement possible. N’ayant pas un budget conséquent, bien manger ne sera pas facile. Etonnamment, les chaînes de sandwich ou les restos mexicains sont ceux qui proposent le plus de légumes.
Le ciel s’assombrit doucement. Suspens pour demain.
Une caméra n’a pas démarré. L’enregistreur audio s’est éteint avant la fin vol. La gestion du matériel est dure au début du voyage.
3ème jour, 21 mai 2014 “Grounded”
Parkersburg (WV)
Je suis bloqué au sol. Au troisième jour ! La météo est mauvaise. Le plafond est bas. Que faire ? Je ne suis pas en mode tourisme dans ma tête. Je décide quand même d’aller visiter Parkersburg. Je suis dans une ville d’un autre âge. J’ai l’impression d’être dans les années 80. Je ne comprends pas. Les habitants vont chercher leur argent dans des tubes pneumatiques. Il y a une foule immense devant l’hôtel des impôts. La ville n’a pas de structure claire. Elle est coupée en deux par une impressionnante voix de chemin de fer. Il y a un petit musée en plein air, The Oil and Gaz Museum. Je suis dans une région qui semble avoir été très riche et avoir été un nœud ferroviaire d’importance.
Je visite Fort Boreman qui date de la guerre de sécession, mais qui n’a jamais servi.
Je visite Fort Boreman qui date de la guerre de sécession, mais qui n’a jamais servi. La région est magnifique. Tout est boisé et d’un vert profond. Il y a quelque chose de sauvage, mais aussi une impression d’abandon. Les habitants semblent très simples, pas de sophistication. Je suis loin, très loin de Boston, New York, Los Angeles…
Je regarde dans Wikipedia les villes dans lesquelles je me pose. Je découvre que 22 pour-cent de la population est sous le seuil de pauvreté. C’est hallucinant. Je commence à comprendre qu’il y a une Amérique à plusieurs vitesses. Ici, c’est la dépression, la très grosse dépression. Une Amérique oubliée.
L’après-midi, j’étudie la météo et je planifie la journée suivante. J’espère pouvoir continuer.
Il y a de l’aléatoire dans ce voyage et j’aime ça.
Cela fait des mois que je le prépare.
Je décide de faire aussi un petit montage sur ces deux premiers jours. Je l’enverrai ce soir. La magie d’Internet. L’immédiateté à la portée de tous.
Il y a de l’aléatoire dans ce voyage et j’aime ça. Cela fait des mois que je le prépare. J’ai planifié toutes les étapes. J’ai calculé les distances. J’ai cherché les chemins. A l’endroit, à l’envers, par le Colorado, le Grand Canyon, traverser le lac Michigan … Finalement rien de cela, j’ai choisi le plus simple, le plus raisonnable. Celui qui risque le moins me coincer quelque part. J’ai suivi la météo au jour le jour pendant plusieurs semaines et j’ai fait des calculs de simulation.
En dernier lieu, mère nature décidera, via la météo, du lieu où j’irai et du temps que j’y resterai.
Prions pour que demain je puisse avancer !
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