12ème jour, 30 mai “Jour de grâce”
San Luis Obispo (CA) – Napa (CA)
12h01 – 14h21 LT (UTC -7/-7)
Durée : 02h20
J’ai fait la moitié de mon voyage. J’entame le chemin du retour vers Bedford. Pour que le choc ne soit pas trop dur, je vais d’abord remonter toute la Californie.
Je me lève plus tard, car je voudrais longer le Pacifique via Half Moon Bay (où j’ai vécu un truc de dingue en hélico) et passer le long du Golden Gate. Je ne ferais qu’un seul vol, car j’ai rattrapé mon retard et je n’ai pas besoin de trop me presser. Néanmoins, je dois amener l’avion pour le changement d’huile des 50 heures et je ne sais pas combien de temps cela va prendre.
La météo ne semble, de nouveau,
pas être de mon côté.
Lors de premiers relevés, la météo semble, de nouveau, ne pas être de mon côté. Les prévisions sont un peu juste. Le brouillard pourrait se lever juste au moment où j’arriverais, mais rien n’est moins sûr. On verra bien.
Avant de partir, je trouve enfin des cartes dans une petite école de l’aéroport. Voilà, ma collection est complète. J’en aurais utilisé une petite trentaine. C’est énorme.
Je repars en direction de Salinas et Monterey. En cours de route, je m’informe des conditions météo sur Half Moon Bay. Elles ne sont pas bonnes. L’aéroport est couvert par le brouillard. Je pourrais tenter de passer par dessus, mais je suis seul et je ne veux pas prendre de risque. Par ailleurs, je dois voler sous l’espace aérien B de San Francisco et ce n’est pas praticable.
Je ne passerai donc pas par le Golden Gate. Too bad. Ce sera par le sud de la baie de San Francisco. Les deux grandes villes californiennes se seront refusées.
Je dois réorganiser ma planification, choisir une autre route, calculer les temps, appeler le FSS pour changer mon plan de vol, et tout cela en volant, car je n’ai pas de pilote automatique. Tout se passe vraiment bien. Je suis content d’avoir effectué tout ce travail seul. J’ai le sentiment d’avoir fait le vol le plus accompli de ma vie.
Je survole le Pacifique en direction de Santa Cruz. Nous sommes au-dessus de la mer. C’est absolument génial. Une année plus tôt, j’étais là avec ma petite famille, à la plage, et mon fils à poil (comme d’habitude).
Le contrôleur me fait parfois changer
de direction pour éviter d’autres avions.
J’ai pris contact avec NOCAL, le contrôle aérien du nord de la Californie. De nouveau, cela fuse à la radio. Le contrôleur me fait parfois changer de direction pour éviter d’autres avions.
J’ai la chair de poule, tellement j’ai des frissons. L’émotion est forte. Je connais la région par cœur pour avoir posé sur ses collines en hélico. J’y ai aussi vécu en 1984, à Danville, et en 1992, à Concord.
Je suis là, dans l’un des espaces aériens les plus fréquentés du monde, un avion parmi d’ autres et c’est un immense privilège. Je survole Concord, passe au large de Mont Diablo, direction Napa. Trajet mille fois fait 20 ans auparavant. J’ai hésité à poser à Nut Tree, pas très éloigné, mais très petit, sans doute l’aérodrome de mon cœur.
A l’approche de Napa, la contrôleuse me propose la piste 18L. Sa longueur est en-dessous des minimas autorisés par l’école, qui m’a loué l’avion. Il y a une piste parallèle, la 18R plus longue. Mais je me dis que ce serait la honte de demander l’autre piste, surtout avec un Cessna. J’atterri parfaitement dans un petit vent de travers. Il reste encore deux tiers de la piste devant moi.
Je suis à Napa, l’aéroport où j’ai sans doute fait le plus d’exercices aéronautiques dans ma vie.
Je ne le reconnais pas trop. J’ai l’impression qu’il a grandi. Il y a des jets partout et quelques coucous comme le mien. Ça sent le pétrole de Jet. Je peux le reconnaître entre mille pour l’avoir reniflé pendant des années.
Je dois amener N64EF devant un grand hangar pour son changement d’huile. Il n’ont pas la bonne et ça m’inquiète un peu. Finalement, tout s’arrange avec EFA pour trouver une solution. Une autre huile peut faire l’affaire. Je reprends aussi des bidons de rechange.
Je tombe sur un mécanicien dont les parents sont d’origine japonaise. Il s’appelle Mark et trouve que mon nom est très original, Marc avec un C. Ça nous fait marrer. Il me dit que les européens sont incroyables avec toutes leurs langues. Ca l’épate qu’on puisse parfois en parler plusieurs. Lui, il ne connaît même pas le japonais, alors que ses parents le parlent.
L’équipe des mécanos est très serviable. On discute de mon voyage. L’un d’eux me dit qu’il a fait aussi une traversée depuis la Floride en un minimum de temps et qu’il a contourné les orages au radar, tout en restant en VFR. Ils n’ont pas peur.
Je regarde la télévision…
Un jet s’est écrasé au décollage à Bedford…
Je regarde la télévision et je vois l’aéroport de Bedford. Une journaliste fait son commentaire exactement devant la place de parking d’où je suis parti. Un jet s’est écrasé au décollage à Bedford avec des personnalités américaines. c’est un peu le choc. J’espère qu’il n’est rien arrivé à EFA. Je sens que l’aéroport est sens dessus-dessous.
Cette journée a été merveilleuse, mais …
Je pense à eux.
13ème jour, 31 mai “Jour d’angoisse”
Napa (CA) – Alturas (CA)
11h22 – 13h58 LT (UTC -7/-7)
Durée : 2h36
J’ai changé mon aéroport de destination. Je voulais voir les crophoppers et aller à Fall River Mills, mais comme l’aéroport s’écrit avec des chiffres et non des lettres, je me méfie après ma mésaventure à Floydada. J’ai choisi Alturas, qui est un peu plus loin. Pourtant, Fall River me semblait mythique. Je ne sais pas pourquoi, je me suis mis cela dans la tête.
Je vais vivre, sans doute, l’une des plus
dangereuses journées de ma vie.
Je ne le sais pas encore, après avoir eu l’impression d’avoir fait un grand pas en avant dans la maîtrise du vol le jour précédent, je vais vivre sans doute l’une des plus dangereuses journées de ma vie. Ce n’est qu’à la fin de mon voyage, que je comprendrais ce qui m’est arrivé.
Je me suis à nouveau levé assez tard. Napa est submergé par le brouillard.
Il fait beau partout sauf au-dessus de l’aéroport, ce dans un rayon de 20 miles et je suis condamner à attendre comme à Parkersburg. Le FBO me donne une bouteille de vin de Napa que je ramènerai en Suisse pour Thomas.
Le brouillard se lève.
Je décolle assez tard dans la matinée et je trouve très vite le beau temps. La région est magnifique et je remonte vers le nord avant de tourner depuis Redding vers le nord-est. Je retrouve ces paysages si connus. Le vrai chemin du retour. Je vais voler plus haut pour le retour, 7500 pieds, car le vent me pousse et il est plus fort en altitude. J’avancerais plus vite et j’économiserais du fuel.
Le vent commence à forcir
à l’approche des Cascades.
Le vent commence à forcir à l’approche des Cascades. J’avais choisi de suivre une route pour m’aider à m’orienter, mais elle passe entre les montagnes. Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me dit que ce serait une mauvaise idée. J’ai peur que le vent s’accélère dans cette étroite vallée. Je décide donc de passer au-dessus d’une montagne. Les turbulences s’amplifient, mais je me sens en sécurité en étant assez haut.
Après le passage de la montagne, je sens que mon avion se met à perdre de l’altitude, je mets la puissance au maximum autorisée pour remonter, mais à ma grande surprise, N64EF continue de descendre. Je ne comprends pas ! Je flippe un peu. Jusqu’où va-t-il aller ? Et puis, il remonte assez vite, je dois rapidement tirer la manette des gaz, pour ne pas dépasser le régime moteur maximal, et même au régime le plus lent, l’avion continue de monter. C’est dingue. Et ça recommence, l’avion se met de nouveau à perdre de l’altitude et ainsi de suite. Ce n’est pas agréable.
J’ai l’impression d’être dans
un tambour de machine à laver.
Je décide de laisser faire l’avion et de ne pas me battre. Je vérifie que la vitesse et le régime moteur soient dans les tolérances, pas au-dessus de Va (vitesse qui garanti l’intégrité de la structure) et pas au-dessus de 2500 tours. Je vérifie, entre les montées et les descentes, que je ne perde pas trop d’altitude. Quand je remonte, je le laisse faire au maximum. Je ne respecte plus du tout les niveaux de vol. Peu importe, l’altitude et la vitesse sont mes alliées. J’ai pris une attitude de planeur et mon instinct m’a donné raison. Dans le même temps, je me fais secouer comme un prunier. J’ai l’impression d’être dans un tambour de machine à laver.
Je survole Fall River Mills que j’avais choisi en premier. Finalement, il ne semble pas si petit que cela. Il sera même plus grand que le suivant. J’hésite à atterrir. Je me dis que ça va se calmer. Mon aéroport final, n’est pas si loin. Néanmoins, les vents ne faiblissent pas. C’est chaotique. J’arrive à Alturas. Je ne trouve pas l’aéroport. Je cherche, je ne comprends pas. Je l’appelle. Personne ne répond. Je regarde le fuel. Je ne peux que retourner en arrière, car il n’y a pas d’aéroport proche. J’ai assez de fuel. Finalement, je trouve l’aéroport. Je suis presque dessus. Je comprends pourquoi, je ne le voyais pas. Il est recouvert de terre. Je fais mon approche. Ça secoue. Je suis au sol. Pour la première fois, je suis soulagé d’être sur la terre ferme.
Je vais à la pompe. Une dame arrive, m’installe l’échelle pour monter à hauteur des ailes et me donne le tuyau d’essence. Je lui raconte ce qui s’est passé en rentrant dans l’Oregon. Elle m’explique en rigolant, mais aussi sous la forme d’un reproche, qu’ici c’est la Californie ! J’ai un sourire, sentant que ce n’est pas la première fois que quelqu’un se trompe.
Je suis finalement assez fier de moi,
de m’en être aussi bien sorti .
Je lui demande si c’est toujours aussi venteux dans la région. Elle me répond qu’une de ses élèves pilotes est sortie et qu’elle est tout de suite revenue au sol. Je suis finalement assez fier de moi, de m’en être sorti aussi bien.
Elle me donne une vieille Buick des années 80 avec une aiguille de compteur folle qui oscille entre 0 et 85 mph (140 km/h) ! Cette voiture a bien vécue, c’est le …pied.
Demain, j’espère que le vent sera tombé.